Tribune : pour un urbanisme véritablement bioclimatique
Image tribune PLU bioclimatique EELV Paris

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Loin des faux débats, nous l’affirmons : garantir aux classes moyennes et populaires le droit au logement abordable est possible, tout en renaturant notre ville pour l’adapter à l’urgence climatique. Cela nécessite un changement de paradigme métropolitain et du courage politique pour que la puissance publique se dote des moyens de réguler la prédation immobilière qui étouffe notre qualité de vie.

Paris doit être à la hauteur de l’accord pour le climat qui porte son nom. Face à l’accélération des dérèglements, nous ne pouvons plus nous satisfaire des demi-mesures. La concertation ouverte sur l’élaboration du futur Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la Ville de Paris en est l’occasion. Mais ce futur PLU qui guidera l’urbanisme à partir de 2024 ne suffira pas sans une véritable prise de conscience des mesures radicales et audacieuses que nous devons prendre dès aujourd’hui, et que les écologistes portent depuis plus de 20 ans. 

Soldons l’ère des projets dispendieux qui fragilisent notre résilience

En 5 ans, nous en avons perdu 20 sur le front du climat. C’est en somme la conclusion de l’étude de la Ville – “Paris face aux changements climatiques” – parue fin 2021. D’ici 2050, si ce n’est plus tôt – c’est-à-dire demain ! – le climat de Paris sera comparable à celui de Séville en Andalousie. Malgré des étés caniculaires, comme celui de 2022 qui a vu se succéder 4 canicules et augmenter la mortalité, notre ville poursuit sa bétonisation comme s’il n’y avait aucune limite à l’empreinte carbone que nous produisons et à la surdensification que nous subissons. Pire, ces décisions aggravent notre vulnérabilité aux phénomènes météorologiques : l’imperméabilisation des sols nous met un peu plus à la merci d’une crue centennale et renforce les îlots de chaleur plutôt que de créer des îlots de fraîcheur .  

À cette hérésie climatique et environnementale, s’ajoute l’injustice sociale et territoriale. Loin de l’écologie populaire qui voudrait que la ville investisse d’abord pour la qualité de vie de celles et ceux qui n’ont pas d’alternative à la vie dans leur logement exigu et surpeuplé, sans droits aux vacances ou maisons secondaires pour se rafraîchir ou fuire les canicules, c’est en périphérie de la ville que se dressent les projets climaticides faisant la part belle au béton, aux tours et murailles de bureaux, aux dépens de la nature et des services publics : Tour Triangle, Porte de Montreuil, Porte de la Villette sont autant de projets d’un autre âge. Or nous le savons, ce sont les Parisien·nes les plus modestes qui subissent le plus les pollutions dues aux dérèglements climatiques mais qui y contribuent pourtant le moins. Dès aujourd’hui, et nous avons acté ces désaccords au sein de la majorité en 2020, nous devons remettre à plat les projets urbains pour qu’ils soient compatibles avec les orientations du PLU bioclimatiques et les rapports du GIEC, comme sur la Gare d’Austerlitz. Nous y sommes parvenus à Ordonner-Poissonier, à Bruneseau et à Bercy-Charenton, continuons ! 

Cette remise à plat des projets en cours est urgente car la densité de Paris est parmi les plus fortes au monde. Et d’autant plus si l’on ajoute les travailleurs·euses et les touristes qui fréquentent notre ville quotidiennement. Transports saturés, magasins bondés, parcs sur-fréquentés, équipements sportifs et culturels insuffisants face aux besoins… participent à ce sentiment de promiscuité avec d’énormes conséquences sur la santé et la qualité de vie des Parisien·nes. A ce titre, nous craignons les conséquences de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, qui en plus d’être un gouffre budgétaire à l’empreinte carbone pharaonique, vont bouleverser la vie quotidienne en pleine période estivale, bloquant la plupart des grands axes de la capitale. 

Défendre les Parisien·nes plutôt que les promoteurs

Les impératifs sociaux et environnementaux ne s’opposent pas. Ces deux défis, que certains ont voulu opposer à des fins politiques (des logements contre des jardins), devraient être le fil conducteur de nos choix. Leur traduction dans le PLU sera un moment de vérité politique, et nos enfants et petits-enfants nous jugeront sévèrement si nous ne sommes pas à la hauteur de leur éco-anxiété. 

Pour assurer un logement abordable au plus grand nombre, nous devons faire appliquer l’encadrement des loyers alors que 40 % des logements ne respectent pas cette disposition. Nous devons également mettre un coups d’arrêt à plus d’une décennie de dérives qui ont extrait du parc locatif près de 40 000 logements : plateformes type « Airbnb », logements vacants, résidences secondaires… autant de résidences principales en moins pour les Parisien·nes. C’est là que se trouve la réserve de logements plutôt que dans la bétonisation des rares terrains libres. La loi SRU impose 25% de logements abordables. Cet objectif sera prochainement atteint. Mais à Paris, il faut aller plus loin : 30% en 2030 et davantage par la suite avec une meilleure répartition par arrondissements, en particulier chez les plus riches (et de droite) qui ne jouent pas le jeu.

Nous autres écologistes, plaidons pour l’arrêt des constructions privées de logements et de bureaux. Chaque mètre carré déjà construit ou artificialisé doit d’abord servir le parc social et les équipements publics. Des solutions existent, pour produire du logement social sans construire. Mais la mère des batailles est la reprise en main du foncier par la Ville – et non son bradage aux promoteurs – via la préemption des logements ou des bureaux lorsqu’ils sont cédés. La Ville doit l’utiliser systématiquement pour faire du logement social dont elle sera propriétaire. Et s’il fallait néanmoins construire, dans quelques cas exceptionnels, des logements sociaux ou d’équipements publics, après avoir fait la preuve de l’impossibilité d’utiliser l’existant, alors nous devrons être hors des zones les plus touchées par la pollution atmosphérique et acoustique, dans des constructions de 25 mètres (R+8) au plus haut et sur des parcelles qui conservent 50 % de pleine terre au minimum. Par ailleurs, ces nouveaux équipements publics ou logements sociaux devront être exclusivement construits ou réhabilités avec des matériaux bio et/ou géo-sourcés, et intégrer la récupération et le recyclage de l’existant. Ainsi, notre ville enverra un signal fort à la filière du bâtiment pour qu’elle engage vraiment sa transition écologique vers des matériaux et techniques compatibles avec les impératifs climatiques. Ce PLU sera également l’occasion d’aborder les enjeux énergétiques de notre ville en régulant l’usage de la climatisation dont le bond exponentiel et anarchique réduit nos efforts pour la maîtrise de nos consommations et l’impératif de leur réduction.  

Comme nous, Paris doit pouvoir respirer pour survivre

Car loger les Parisien·nes ne suffit pas. Il faut leur garantir un environnement agréable pour s’épanouir en bonne santé physique et mentale et ce d’autant plus avec le réchauffement climatique inéluctable. De toutes les capitales mondiales, Paris est celle où les habitant·es jouissent le moins d’espaces naturels. Un·e Parisien·ne ne bénéficie en effet que de 5,6 m2 d’espaces verts en moyenne par habitant·e alors que l’Organisation Mondiale de la Santé préconise un minimum de 12 m2 et ce, à moins de 300 mètres de leur habitation. Il faut donc renaturer massivement la ville. La Charte de l’arbre portée par les écologistes est une grande avancée, mais il ne s’agit pas uniquement de protéger l’existant, il faut accélérer le verdissement. Les arbres assurent notre climatisation naturelle avec une baisse de 2 à 4 degrés. Sans parler des nombreux autres avantages comme filtrer la pollution de l’air, faire circuler l’eau, capter le CO2 et améliorer la santé physique et mentale des habitant·es, car la nature est aussi un lieu de rencontre et de vivre ensemble. 

Créer un nouveau bois parisien doit être une priorité de notre agenda municipal, tout comme la création d’un nouveau parc d’au moins 1 hectare par arrondissement. Sur les dernières friches industrielles disponibles, la priorité doit être donnée aux espaces verts avec 75% de la surface consacrée à de la pleine terre. Si les aménageurs privés ne veulent pas s’aligner sur ces standards, les terrains seront préemptés par la ville via des déclarations d’utilité publique fondées notamment sur l’intérêt général climatique. C’est aujourd’hui, via le PLU, que se conçoivent les espaces naturels de 2030. Le même effort doit être porté à l’espace privé. Nous devons sanctuariser tous les espaces libres, plantés ou non des 80 000 parcelles privées de Paris dont l’APUR a fait un inventaire très détaillé par nature de propriétaires. Par ailleurs, afin d’éviter les couloirs de chaleurs, les hauteurs d’immeubles doivent garder leur diversité. Tout alignement doit être proscrit afin d’aérer la ville et permettre aux habitant-es d’accéder à la luminosité naturelle et voir le ciel.

Mais l’effort bioclimatique ne peut se contenter d’actions sur le domaine privé – qui relève du PLU. Il doit également concerner l’espace public. L’action de nos élu·es, la transformation des mobilités, les rues aux écoles vont dans le bon sens, mais nous passerons à côté de l’enjeu, si l’on se contente de dé-bitumer des trottoirs et de végétaliser quelques toits durant cette mandature. Paris dispose d’un bien commun essentiel : ses 1 400 hectares d’espace public, dont 50 % sont aujourd’hui réservés à la voirie. Paris doit produire un réel schéma directeur de ses engagements pour l’espace public à 10 ans. Dans les quelques lignes du projet actuel du PLU réservées à cette question essentielle, le piéton tient déjà une place indigente. Créer des zones à trafic limité dans tous les quartiers (et non seulement dans le centre commercial de Paris centre que d’aucuns souhaiteraient optimiser et valoriser pour le tourisme de masse), créer des voies cyclables séparées et sécurisées, faire déborder les parcs sur les rues, telles sont les nombreuses évolutions essentielles à formaliser dans un Plan Espace Public Bioclimatique ! 

L’avenir de Paris est Métropolitain 

Certes, la ville dense peut être est une ville écologique car elle permet d’optimiser les transports, de mutualiser les équipements et de limiter l’étalement urbain (donc l’artificialisation des sols). Hélas, l’excès de densité tel qu’on le connaît à Paris se retourne contre la population et l’environnement et pose des problèmes en termes de dégradation de la qualité de vie (bruit, santé, émission de gaz à effet de serre…). L’évidence est d’abord d’arrêter de penser la ville à l’échelle étriquée de Paris mais de la penser à l’échelle de la métropole et de la région afin de mieux répartir les différentes fonctions et richesses sur l’ensemble du territoire. Le Grand Paris ne forme en réalité qu’un seul et même bassin de vie et d’emploi. C’est peu dire que l’objectif louable de créer une ceinture verte autour du périphérique dérape actuellement vers une muraille grise de bureaux. En plus de ne pas poursuivre l’objectif de recréer du lien entre Paris et les communes limitrophes, cette bétonisation accrue des abords du périphérique nous empêchera demain de transformer ce dernier en véritable boulevard urbain et corridor végétal. 

Le mille-feuille de la gouvernance de la région capitale, sans changements probants depuis plus de 20 ans, démontre un peu plus chaque jour ses limites pour affronter les grands défis qui se posent à nous. C’est notamment le cas pour l’ensemble des domaines concernant la crise climatique et nos résiliences alimentaires et énergétiques. Nous buttons sur les “égoïsmes municipaux”, celui de Paris en premier lieu – qui se traduit par un dumping fiscal et social aux dépens de la métropole – alors que la fracture s’est accentuée entre territoires riches de l’ouest et les plus démunis du nord et de l’est. Il est parfaitement égoïste de drainer encore les entreprises dans la capitale au nom du totem de l’attractivité. 

Il n’existe, malheureusement, aujourd’hui, aucun outil institutionnel efficace et contraignant de répartition de l’activité économique et des richesses à l’échelle du territoire du Grand Paris. Dans l’attente de la finalisation du Plan Métropolitain pour l’Habitat et l’Hébergement, il est néanmoins possible d’agir dès à présent avec les outils existants, bien qu’imparfaits. Tout d’abord, en interdisant l’offre nouvelle de bureau à Paris dans le nouveau PLU. Alors c’est vrai, cette politique nécessite du courage et des moyens financiers. Il faudra du courage pour convaincre les acteurs de l’immobilier et les investisseurs (et parfois les acteurs publics) de changer leur vision de l’urbanisme. Mais nul doute que la majorité municipale saura en faire preuve, et trouvera le courage politique pour se doter des moyens budgétaires et fiscaux adéquats.

Une majorité progressiste existe pour voter un PLU véritablement bioclimatique

Nous le voyons bien, le vrai clivage politique se fait entre la défense des besoins des habitant·es et la défense des intérêts des investisseurs privés. La majorité socialiste, communiste et écologiste devrait pouvoir sans difficulté se rassembler du côté des Parisien·nes, avec comme boussole de nos politiques urbaines les urgences climatiques et sociales de notre métropole. C’est une urgence politique qui doit nous rassembler, alors que la droite et le gouvernement, alliés des puissances de l’argent, sont en embuscade et se drapent à peu de frais dans un vernis environnemental, anti-social et étouffent les collectivités territoriales financièrement. 

Antoine ALIBERT  & Emma AZMINE-AYOUT, Co-secrétaires d’EELV Paris 

Alix FLORENT, co-responsable de la Commission Santé d’EELV 

Hélène LAGOUTTE, co-responsable de la Commission Urbanisme & Habitat d’EELV

Stéphane GOUYETTE & Sharon HOOBY, co-référent·es du groupe de travail PLU d’EELV Paris 

Une tribune publiée sur Le Club de Mediapart le 8 octobre 2022

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